mercredi 19 juillet 2006

Duel dans le Pacifique (Boorman, 1968)

En 1944, le capitaine Kuroda (Tochiro Mifune), un officier de la Marine japonaise, et un pilote de l’Armée de l’Air des Etats-Unis (Lee Marvin), s’échouent sur une île déserte du Pacifique. Après s’être affrontés vainement, les deux ennemis décident de s’unir pour tenter de regagner un territoire moins inhospitalier.
Duel dans le Pacifique étonne d’abord par l’ingéniosité de sa mise en scène. Les diverses situations ont été en grande partie improvisées durant le tournage. Boorman mise sur une direction d’acteurs et un montage dynamiques pour donner corps à un scénario très mince au départ. Les séquences, bien que répétitives en apparence (le réalisateur n’alterne, finalement, qu’une série de provocations et de réactions défensives) se ressemblent finalement assez peu et établissent une progression narrative qui ne souffre jamais de l’absence quasi complète de dialogues.
Pour Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier, John Boorman a
« l’art de dynamiter les thèmes, les conventions réalistes, de saper les codes et les genres, de piéger les signes, de dilater et de compresser le temps et l’espace, de briser le sens de la continuité et de la narration invisible chères au cinéma hollywoodien (…) »[1]. Duel dans le Pacifique illustre parfaitement cette approche cinématographique. Le réalisateur renouvelle le huis clos en enfermant deux personnages dans un espace végétal où le temps semble être suspendu. En effet, tandis que la guerre continue entre les Etats-Unis et le Japon, Kuroda et le pilote s’affrontent dans un « ailleurs » qui échappe à l’histoire.
La photographie de
Duel dans le Pacifique se caractérise par l’utilisation de différents types de lumière naturelle – par exemple l’obscurité verdâtre de la jungle et la luminosité aveuglante du littoral - qui produisent des contrastes très prononcés. La première partie repose sur l’opposition des gros plans, qui expriment la concurrence des regards, et les plans d’ensemble qui traduisent le désarroi des protagonistes perdus dans une nature hostile. Opposition qui s’inscrit donc dans un rapport à l’autre et un rapport à soi. Les nombreux zooms avec effet de décadrage rapide participent également à la tension de l’intrigue. Ceux-ci permettent au spectateur de focaliser subitement son attention sur un élément du décor important dans le déroulement du récit. Citons, par exemple, le zoom sur la réserve d’eau de Kuroda, enjeu majeur de la lutte entre les deux militaires.
La nature représente par ailleurs le troisième personnage du film. Le réalisateur retourne ce que Coursodon et Tavernier nomment le mythe américain par excellence, c’est-à-dire la nature conçue comme un espace positif qui fait référence au « paradis perdu ». La nature est de ce fait présentée, dans le film, comme un lieu de régression et un piège mortel qui emprisonne les protagonistes.
Boorman a recours à plusieurs stratagèmes pour que le spectateur s’identifie naturellement à l’Occidental. Premièrement, le Japonais s’exprime uniquement dans sa langue, sans
que ses paroles ne soient sous-titrées. L’objectif du réalisateur est d’exprimer l’incommunicabilité qui sépare les deux civilisations. Secondement, on remarque la présence de caméras subjectives qui montrent ce que perçoit l’Américain, sans que ce procédé soit utilisé pour l’ennemi. Le spectateur ressent ainsi lui-même le rapport d’affrontement, qui symbolise le principal mécanisme narratif du film.
Le pilote américain représente l’élément parasite qui rompt l’équilibre précaire du Japonais. Ce dernier a d’abord l’avantage, car il contrôle l’unique accès aux réserves d’eau potable. Cepe
ndant, il se place dans une situation périlleuse en refusant de partager ses ressources avec le pilote américain. Du coup, celui-ci multiplie les opérations de sabotage et parvient à affaiblir son adversaire. Le film illustre par conséquent les potentiels stratégiques de la guérilla à un niveau microscopique.
Les deux militaires comprennent néanmoins qu’ils doivent collaborer pour survivre. Mais l’esprit de camaraderie qui les anime disparaît dès qu’ils trouvent, à la fin du film, un numéro de
Life dévoilant des Japonais tués par des soldats américains. Dès ce moment, la logique de la guerr
e ressurgit et désagrège instantanément les liens de sociabilité qui s’étaient établis durant de nombreuses semaines.
L’altérité se manifeste surtout au niveau de l’expression des codes culturels. Kuroda supporte par exemple mieux l’ennui que l’Américain. Il parvient à vider son esprit en entretenant son jardin japonais avec les outils de fortune qu’il s’est créé. Par contre, c’est l’Occidental qui est l’ingénieur du radeau avec lequel les protagonistes parviennent à s’échapper de l’île. Sur ce point, la supériorité technique américaine ne fait aucun doute, et pourrait représenter, dans le film, une référence à la victoire imminente des Etats-Unis sur le pays du soleil levant.
Duel dans le Pacifique est une parabole minimaliste sur la guerre. Un paradoxe inattendu qui montre comment les forces primitives de l’homme peuvent s’affronter à travers le choc des civilisations.
Aurélien Portelli
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[1] Bertrand Tavernier, Jean-Pierre Coursodon, 50 ans de cinéma américain, Paris, Editions Omnibus, 1995, p. 315.

DUEL DANS LE PACIFIQUE
Réalisation :
John Boorman. Interpétation : Lee Marvin, Toshiro Mifune. Origine : Grande-Bretagne. Durée : 1h41. Année : 1968.

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